Né le 4 avril 1920, à Tulle, de son véritable nom Jean-Marie Maurice Scherer, Eric Rohmer acquit une formation essentiellement littéraire qui le destina tout naturellement à l'enseignement ainsi qu'à une carrière de romancier qui n'eut pas de suite après la parution chez Gallimard, en 1946, de " Elisabeth". Ce n'est que très tardivement qu'il s'orienta vers le cinéma en empruntant la voie de la critique. Il fut successivement rédacteur à " La Revue du Cinéma ", " Les Temps Modernes ", " Arts " puis rédacteur en chef de " La Gazette du Cinéma " en 1959 et des " Cahiers du Cinéma " de 1957 à 1963. Il débute dans la réalisation avec un court-métrage interprété par le scénariste Paul Gégauff et dont il ne reste plus aucune trace puis entreprend deux ans plus tard son premier long métrage LES PETITES FILLES MODÈLES qui reste inachevé. A l'heure où ses amis de la nouvelle vague font leurs premières armes, Eric Rohmer s'essaye à nouveau dans la mise en scène avec LE SIGNE DU LION produit par Claude Chabrol. Malheureusement, le film reste bloqué trois ans. Cet échec associé à une discrétion naturelle firent que son nom resta dans l'ombre de ceux de Truffaut, Godard... Tout en continuant ses activités de critique (il publie notamment un ouvrage sur Hitchcock avec Claude Chabrol), Eric Rohmer entreprend la réalisation d'un vaste projet, une série de six contes moraux axés sur un thème identique : "Tandis que le narrateur est à la recherche d'une femme, il en rencontre une autre qui accapare son attention jusqu'au moment où il retrouve la première. " Ce thème restitué à l'état pur dans LA BOULANGÈRE DE MONCEAU, subira un certain nombre de transformations par l'adjonction de nouveaux motifs. Le conte n° 2: LA CARRIÈRE DE SUZANNE est un moyen métrage également réalisé en noir et blanc avec ses amis des Cahiers. Quant au suivant LA COLLECTIONNEUSE, long métrage qui porte en réalité le numéro 4, il optait malgré son petit budget pour la couleur, afin de mieux restituer l'atmosphère du Midi. Ce film attira l'attention sur son auteur et lui permit de réaliser les trois contes suivants avec les acteurs professionnels indispensables pour interpréter les protagonistes plus âgés. Le dernier L'AMOUR L'APRÈS-MIDI sortit en 1972 soit dix ans après LA BOULANGÈRE DE MONCEAU. Pendant toutes ces années, malgré une activité pédagogique parallèle et la réalisation d'émissions de la TV scolaire et de la série " Cinéastes de notre temps " (Carl Dreyer, Le celluloid et le marbre), le nom de Rohmer fut essentiellement lié à celui des Contes moraux dont il se réclame l'unique auteur : "L'ambition du cinéaste moderne, et qui fut aussi la mienne, est d'être l'auteur à part entière de son œuvre, en assumant la tâche traditionnellement dévolue au scénariste. Mais cette toute-puissance, au lieu d'être un avantage et un stimulant, est ressentie parfois comme une gêne. Etre le maître absolu de son sujet, pouvoir y retrancher et y ajouter selon l'inspiration ou les nécessités du moment, sans avoir de compte à rendre à personne, cela vous grise, mais cela vous paralyse aussi : cette fatalité est un piège. Il importe que votre propre texte vous soit à vous-même tabou, sinon vous pataugez, et les comédiens à votre suite. " Et pourtant, les deux films suivant, seront des adaptations de textes littéraires d'origine et d'époque très différentes : LA MARQUISE D'0 et PERCEVAL LE GALLOIS qu'il traduisit lui-même du texte ancien de Chrétien de Troyes. " Je me sens absolument libre en tant que cinéaste et je tiens à le rester. Je veux éviter de me laisser piéger par le succès. Je n'aimerais pas avoir un trop grand nombre d'entrées ; je préfère un petit public satisfait. Je ne cherche pas le phénomène de mode. " C'est en effet un public limité, mais fidèle, qui applaudit depuis trois décennies - LA COLLECTIONNEUSE, second long métrage mais premier " succès " du cinéaste, est sorti en 1967 - chacun des films qu'Éric Rohmer, un peu à la manière d'un Woody Allen, réalise avec une régularité créatrice et une constance dans l'inspiration à nul autre pareil dans le cinéma français. Aucun de ses vingt longs métrages ne figure en tête des recettes : quelques-uns, comme LES NUITS DE LA PLEINE LUNE, LE RAYON VERT ou L'AMI DE MON AMIE, ont franchi la barre des 200 000 entrées en exclusivité parisienne ; mais presque tous rassemblent entre 50 000 et 200 000 spectateurs, chiffre largement suffisant pour amortir leur coût qui est égal, voire inférieur, à la moitié du budget moyen nécessaire à la fabrication d'un film français. Car Éric Rohmer, maître-artisan hostile par principe à tout ce qui est, à ses yeux, gâchis ou superflu, travaille naturellement à l'économie, en créateur libre de toute contrainte hors celles, artistiques, qu'il s'impose. Ainsi privilégie-t-il extérieurs et décors naturels, avec une prédilection marquée pour la province (Annecy, Clermont-Ferrand, Saint-Jean-de-Luz, Dinard, Granville, Le Mans...) et la banlieue parisienne (Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise...). Son équipe est réduite au minimum et composée de collaborateurs rompus à ses méthodes de travail : les directeurs de la photo Nestor Almendros, Bernard Lutic, Luc Pagès, Diane Baratier, Sophie Maintigneux, filment - avec, si possible, une caméra 16 mm, plus légère et maniable que la caméra 35 mm dite professionnelle - les acteurs devenus familiers de la saga rohmérienne : Arielle Dombasle, André Dussollier, Pascal Greggory, Amanda Langlet, Fabrice Luchini, Marie Rivière, Béatrice Romand, Rosette... Économe sur les moyens, Rohmer ne l'est pas sur le temps, se réservant celui de nombreuses répétitions avec des comédiens qu'il encourage à improviser lorsqu'il les sent totalement imprégnés de leur personnage et de leur texte. Ajoutons qu'après la série des six "Contes moraux", Rohmer a signé six "Comédies et Proverbes" et quatre "Contes des Quatre Saisons". S'il peut compter sur un public acquis à son style comme à son univers, Éric Rohmer est, tout autant, assuré d'un soutien quasi unanime de la critique. Celle-ci lui a consacré de substantielles études et analyses et lui a décerné le Prix Louis-Delluc pour LE GENOU DE CLAIRE et le Prix Méliès pour MA NUIT CHEZ MAUD, LE GENOU DE CLAIRE, PERCEVAL LE GALLOIS, PAULINE À LA PLAGE et LES NUITS DE LA PLEINE LUNE. En revanche, il est surprenant de constater que le cinéaste, ses films, ses techniciens et interprètes n'ont jamais obtenu le moindre César : LES NUITS DE LA PLEINE LUNE, en dépit de cinq nominations - meilleurs film, réalisateur, scénario, actrice et second rôle masculin - fut oublié lors de la remise des récompenses. Tout aussi surprenante est l'absence quasi totale de l'œuvre de Rohmer dans la Sélection officielle comme au palmarès du Festival de Cannes, LA MARQUISE D'O, Grand Prix spécial du Jury en 1976 et le moins caractéristique de ses films, étant l'exception qui confirme la règle. Une règle que ne suivent pas les grands festivals étrangers, comme celui de Venise, qui a décerné un Lion d'or au RAYON VERT et un prix d'interprétation à Béatrice Romand (UN BEAU MARIAGE), Pascale Ogier (LES NUITS DE LA PLEINE LUNE) et Marie Rivière (LE RAYON VERT) et celui de Berlin, où LA COLLECTIONNEUSE reçut un Prix spécial et Éric Rohmer celui de la mise en scène pour PAULINE À LA PLAGE. En 1979, Éric Rohmer avait assuré la mise en scène théâtrale de "Catherine de Heilbronn", la pièce d'Heinrich von Kleist. Il est revenu sur les planches en 1987 pour diriger sa pièce "Le Trio en mi bémol" avec Jessica Forde (Mirabelle dans QUATRE AVENTURES DE REINETTE ET MIRABELLE) et Pascal Greggory.
|